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jeudi 24 mai 2007

Formater le peuple, l’ambition socialiste de Rosanvallon

Il séduit l’UNSA : n’est-ce pas tout dire ?...
L’UNSA recommande la lecture de Rosanvallon dans Le Monde... Il a encore frappé!Il faut savoir à quoi nous avons échappé. Vous saurez tout, mais gardez le moral !…

Pierre Rosanvallon, historien, professeur au Collège de France
"Conjurer l'impuissance politique"
LE MONDE du 19.05.06 [à la veille du 1er tour: une tentative de pression sur l'électorat, avec l' impact que nous savons...]
Pierre Rosanvallon est historien, professeur au Collège de France, directeur d'études à ... l'EHESS, et président du cercle de réflexion "La République des idées".
Quel enseignement principal tirez-vous du forum de Grenoble ?
Ce qui a caractérisé ce forum, c'est une formidable demande citoyenne. [?! Tout est ensuite à l'avenant] Pas simplement une demande de débat, mais une demande de réflexion, d'analyse et d'implication. Les 8 000 personnes qui ont suivi les différentes tables rondes n'étaient pas des spectateurs passifs. Ils exprimaient une volonté de faire de la politique autrement, en articulant information, formation et projet. Cette dimension d'éducation populaire était très sensible.
Comment définiriez-vous cette "demande citoyenne" ?
Par la conviction que pour sortir d'une forme d'impuissance publique, il ne sert à rien de se réfugier dans l'incantation, mais qu'il faut véritablement construire une compréhension critique, nourrie à la fois du travail des intellectuels et des acteurs de terrain, de ceux qui essaient de renouveler les analyses et de ceux qui s'efforcent de débloquer des pratiques.
Ce qui m'a frappé à Grenoble, c'est cette aspiration très forte à trouver une forme d'intervention citoyenne qui aille plus loin que la simple expression électorale et même plus loin que la démocratie de participation. C'est ce nouveau type de citoyenneté active que nous avons la responsabilité de définir et de promouvoir.
Comment donner un sens politique à cette aspiration ?
Il est manifeste que l'écart est très grand entre, d'un côté, cette vitalité du débat et de la critique sociale et, de l'autre, l'inquiétude ou la déprime devant la surdité des responsables politiques. A Grenoble, il m'a paru rassurant que cette inquiétude ne débouche pas sur la sempiternelle condamnation en bloc du politique et sur un rejet de nature populiste. Longtemps, la perspective révolutionnaire a séparé les formes de compréhension et les perspectives concrètes d'action. La critique sociale ne nourrissait pas la capacité immédiate de changement et alimentait de ce fait le désenchantement, voire le désespoir.
Pour conjurer cette impuissance, il faut développer une forme d'intelligence politique qui redonne, à la fois, des instruments de compréhension et des outils d'intervention.

De quelle manière ?
L'objectif fondamental est de transformer les idées et les projets en forces matérielles. Dans l'année qui vient - et c'est normal dans une élection présidentielle -, la campagne politique va s'organiser autour de personnalités. Mais il faut tisser des rapports entre cette campagne de personnalités et une campagne d'idées et de projets autonome. Le modèle traditionnel consistait, pour la société civile, à chercher son "débouché politique". J'appartiens à une génération qui, pendant des années, a essayé de trouver la force, le leader politique, bref le bon porte-parole qui permettrait de donner sens et forme à tout ce que pensait la société civile. Cela n'a pas marché. Il faut inventer une démocratie d'interaction entre société civile et société politique, entre critique sociale et projets de réformes.
Quels pourraient être les outils d'une telle démocratie d'interaction ?
On pourrait par exemple développer des "conférences d'argumentation" au sein desquelles des acteurs de terrain, des associations spécialisées et des intellectuels travailleraient ensemble. Cela permettrait de structurer une question précise, d'en explorer la complexité, d'en éclairer les tensions pour mieux faire émerger les choix essentiels. Ce serait intervenir avant que ces questions soient en quelque sorte réduites à des prises de position et figées dans des idéologies. Ce pourrait être un outil pour passer de la perplexité à la complexité, pour sortir des idées reçues et s'engager dans une construction démocratique des conflits. Sur cette base, des "rendez-vous d'interpellation" pourraient mettre face à face des personnalités politiques et les producteurs de cette démarche. Cela contribuerait à passer d'un discours politique fondé sur des effets d'annonce ou des réponses stéréotypées à une approche plus ancrée dans une transformation effective des choses. Tout cela doit naturellement être pluriel. La campagne des personnalités est unique, la campagne des idées doit être diffuse et plurielle.
Pourriez-vous citer un exemple ?
Un exemple très simple : la lutte contre la précarité. Des groupes comme l'Agence nouvelle des solidarités actives de Martin Hirsch émettent des projets, définissent les termes d'une sécurité professionnelle, font des propositions en matière d'insertion de chômeurs de longue durée et de bénéficiaires du RMI. Après quoi il faut interpeller les politiques sur les réponses qu'ils entendent apporter à ces analyses, à ces questions, à ces critiques et à ces propositions. Les médias ont un rôle essentiel à jouer dans le développement de cette campagne d'idées. Ils peuvent être un des instruments de cristallisation.
Un autre exemple est celui de l'immigration. En laissant paresseusement se développer les préjugés et les peurs sur cette question centrale, nous avons permis à tout l'éventail politique de se déplacer vers la droite. Il faut repartir des deux questions qui sont au coeur du problème : dans quelles conditions des individus sont-ils invités à partager l'Etat-providence ? Comment articuler solidarité nationale et solidarité internationale ?
Les partis politiques ne sont donc plus capables de produire des idées et des solutions neuves ?
Les partis se sont donné d'autres objectifs, principalement de sélection des dirigeants et de positionnement idéologique. Mais ils n'incarnent pas une culture de la délibération.

Cela conduit-il, à vos yeux, à une redéfinition du rôle de l'intellectuel ?
Tout à fait. Raymond Aron disait qu'il y a deux types d'intellectuels : les conseillers du prince et les confidents de la Providence. Le conseiller du prince, c'est l'intellectuel expert. Le confident de la Providence, ce peut être le prophète ou le maître en idéologie. Il nous faut trouver une troisième voie, celle de l'intellectuel impliqué, chercheur associé de la société civile : celui qui produit à la fois la critique et l'outil.
Etes-vous sollicité par des candidat(e)s à l'élection présidentielle ?
Beaucoup d'auteurs de La République des idées sont sollicités par les entourages politiques. Mais ce qui me frappe, c'est que l'on attend d'eux des éléments de langage, des expressions neuves - comme "l'égalité des possibles" d'Eric Maurin, reprise ici ou là -, mais pas le supplément de complexité et d'intelligibilité qu'ils peuvent apporter. Or la démocratie suppose l'intelligibilité de la société qu'elle entend réformer. Ce sera l'enjeu des mois à venir.
(Propos recueillis par Gérard Courtois et Eric Le Boucher)

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